« Pour moi, Comedian n'était pas une blague ; c'était un commentaire sincère et une réflexion sur ce que nous valorisons.Dans les foires d'art, la vitesse et les affaires règnent, alors j'ai vu les choses de la manière suivante : si je devais être présent à une foire, je pourrais vendre une banane comme d'autres vendent leurs peintures.Je pouvais jouer dans le système, mais avec mes propres règles ».
("To me, Comedian was not a joke; it was a sincere commentary and a reflection on what we value. At art fairs, speed and business reign, so I saw it like this: if I had to be at a fair, I could sell a banana like others sell their paintings. I could play within the system, but with my rules. »)
MAURIZIO CATTELAN CITÉ DANS : GARETH HARRIS, « MAURIZIO CATTELAN : “LIFE IS OFTEN TRAGIC AND COMEDIC AT THE SAME TIME” », THE ART NEWSPAPER, 30 NOVEMBRE 2021 (EN LIGNE)
L’idée de l’artiste, à mon avis, a été aussi de s’amuser des commentaires et réactions habituelles d’un certain public sur l’art contemporain, faites au coin d’un comptoir de bistro depuis des lustres et plus récemment, depuis l’arrivée d’internet, aussi sur les réseaux sociaux. Mais pas seulement…
Effectivement, ce public, qui n’est pas habitué à aller voir des expositions d’art contemporain, pas habitué à l’art en général, même, ou tout au plus, à l’art moderne ou classique… ce public, donc, a du mal à apprécier en tant qu’œuvre, tout travail n’ayant pas nécessité d’évidentes compétences en dessin, peinture, ou sculpture, ou ayant été réalisé par des assistants.
Ce public en rit, ou s’énerve de voir qu’une « plaisanterie » si facile, voir une « merde* », puisque ne nécessitant pas d’un don particulier pour la réaliser, soit vendue à un prix si cher.
*(d’où la création par Piero Manzoni, de sa « Merde d’Artiste », en 1961, certainement déjà en réponse à de tels commentaires, qu’il vendait au prix du poids de l’or de l’époque)
Mais ce public oublie deux choses :
- La première, la plus évidente, est qu’il n’a aucune obligation d’acquérir l’œuvre, et donc de payer ce prix. En outre, si ce public n’aime pas l’œuvre, même offerte, il n’en voudrait pas chez lui. Alors, pourquoi s’offusquer ?
- La deuxième est que les acheteurs de telles œuvres assument pleinement pour eux cette décision. Alors, pourquoi les plaindre s’ils en sont heureux ?
Finalement, le plus important…
Ce public n’a pas encore fait le pas sur le chemin, pourtant ouvert il y a plus de 100 ans par Marcel Duchamp au tout début du XXème siècle, avec sa « Roue de bicyclette », en 1913 (4 ans avant « Fontaine », son fameux urinoir), de comprendre, et encore moins accepter, qu’une œuvre d’art puisse avant tout être une idée.
Maurizio Cattelan a donné pour titre à son œuvre « Comedian ». Une œuvre faite pour en rire donc, pour faire du spectacle et qui dit spectacle, dit large public. Si vous voulez mon avis, Cattelan a dédié cette œuvre à ce plus large public (et à celui des connaisseurs, aussi, évidemment, pour leur plus grand plaisir), afin de leur offrir un spectacle qui lui permette d’en rire, de s’émouvoir, d’en pleurer, de l’admirer, ou de le critiquer. Surtout, un spectacle sur lequel on se délecte de commenter entre amis et en public, comme à la sortie d’une pièce de théâtre, d’un film, ou d’un ballet autour d’un bon verre…
La renommée exceptionnelle obtenue par cette œuvre depuis son exposition à Miami en 2019 a fait d’elle l’œuvre la plus connue au monde réalisée en ce début de (XXIème) siècle!
Raison pour laquelle l’estimation de sa valeur a tant augmenté : souvenez-vous, les deux premiers numéros (sur 3 + 2 épreuves d’artistes) ont été vendus 120’000 USD et le 3ème, 150’000. Et aujourd’hui, la pièce proposée en vente aux enchères par Sotheby’s est estimée à 1-1,5 Millions de USD.
Autre raison: les œuvres de Maurizio Cattelan sont généralement inaccessibles, car dans de grandes collections et évaluées à plus de 15 millions l’œuvre. Il est donc rare, comme en 2019, de pouvoir acheter une telle œuvre. D’ailleurs, en 2012, lors de son exposition « All » au Guggenheim, à New York, il avait annoncé arrêter de produire des œuvres d’art. 5 ans après, ayant rompu cette promesse, déjà, il était évident que des collectionneurs allaient vouloir s’arracher l’une de ces trois éditions.
Personnellement, je pense que celle-ci est donc (volontairement) sous évaluée à 1 - 1,5 millions et a le potentiel de monter bien au-delà de ce chiffre… mon évaluation basse (et le pari que je fais avec vous) : entre 6 et 8 millions (et je ne serai pas surpris de la voir atteindre 10 millions).
Alors, je vous dis : « à mercredi soir, pour le résultat de la vente aux enchères ».